Plat Publié le mercredi 3 septembre 2008 à 11h54

Monsieur Chocolat


Riza, alias « Chocolat », joue aux courses depuis vingt-cinq ans. Sur l’hippodrome, il connaît tout le monde. Aucun professionnel, pas un seul journaliste, n’a pu se soustraire à ses distributions de bonbons comme à ses salves de questions. Clin d’œil à un parieur passionné pas tout à fait comme les autres...

Vingt euros en poche, une invitation à la tribune des propriétaires chinée à un jockey complaisant, Riza franchit la dernière barrière qui le sépare de son opium. Il est 19 heures, les heats ont débuté sur la cendrée de Vincennes. A la sortie des écuries, scotché à la barrière, il courtise les lads, distribue des bonbons à l’affût d’une information, d’un minuscule indice concernant les cent chevaux de la réunion. Sur son programme, rature après rature, se dessine le destin chaotique d’un billet de vingt euros…

Les tueurs de rêves

Les joueurs captifs sont naïfs. Ils vivent dans un monde imaginaire relié par quelques ponts fragiles à la réalité du quotidien. L’illusion de la liberté, des rêves de fortune facile : un univers superficiel et léger comme il en existe bien d’autres, plus dangereux encore. Le paradis artificiel des courses est accessible à une poignée de vivants. Riza est désormais des leurs : « J’étais un joueur de Loto et puis, un jour, j’ai misé 8 francs au Quarté avec un ami. Nous en avons gagné 11.000 ! Je n’ai plus jamais joué au Loto. » Riza a quitté la Turquie en 1986 et obtenu la nationalité française en 1992. Si pour lui la vie est un jeu, c’est avant tout un jeu d’argent. «Mon travail m’ennuie mais je suis obligé, à cause de l’argent, pour le loyer, pour ma famille et pour la pension alimentaire. Je ne sais pas comment faire pour devenir riche. Aux courses, j’ai l’impression que tout peut arriver. Et puis, ici, je m’évade, j’oublie la misère et le malheur qui frappent partout dans le monde. Tu penses que je suis fou ? On a déjà tué presque tous mes rêves, j’aimerais qu’on me laisse celui-là. Allez viens, la course va partir… » Toute la diversité du monde, toute la complexité du monde, et puis la confusion du présent. Comment capturer la magie de ces instants d’invincibilité, ces secondes où tout semble possible. Riza fuit, Riza espère et puis parfois, Riza touche… « Le couplé 3 et 5, je te l’avais dit ! Michel Lenoir m’a fait un signe après les canters et puis le lad du numéro 5 était très confiant. Je le savais, j’aurais dû jouer plus sur cette course ! » Riza ne tient plus en place. Il félicite les lads, congratule les jockeys à leur retour aux balances. Les tickets bien au chaud sur son cœur, à l’endroit même où était blotti ce fameux ticket de Quarté +, il y a sept ans déjà : « Je me souviendrai toute ma vie de ce Quinté remporté par Galant de la Roche en janvier 2001. Fatum de Béval et Jacky Treich, que j’admire énormément, avaient été disqualifiés de la deuxième place après enquête, pour m’offrir la Quinté + dans l’ordre : 55.000 francs ! Ce soir, c’est juste un couplé gagnant placé. » Passage obligé au guichet pour recevoir en pleine face le verdict de la machine… 358 euros, une véritable petite fortune pour notre joueur.

Jouer avec le feu

Le reste de la réunion fut nettement moins glorieux pour Riza et ses paris. Avant la dernière, son capital était redescendu à 280 euros. Que s’est-il passé Riza? «les courses, ce n’est pas une science exacte ! Et puis, certains professionnels ne veulent pas parler, d’autres se fétichent et disent le contraire de ce qu’ils pensent. Ce n’est pas grave, je vais me refaire dans la dernière, j’ai une info en béton… » Flirter avec les frontières du raisonnable, prendre le risque maximum, juste pour la montée d’adrénaline et une poignée d’euros. Riza a touché 185 euros dans la « der » avant de piétiner le tapis de tickets perdants du grand hall pour rejoindre le marchand de journaux posté devant l’entrée principale de l’hippodrome. Demain tout recommencera.

Des vies perdues

Il est 23h30, Riza tourne la clef de contact de sa voiture. Au compteur, 350.000 kms et le voyant de la jauge à gasoil allumé. Le périph, direction porte de Saint-Ouen, une rue sombre, une salle enfumée derrière un rideau tiré, des hommes qui jouent aux cartes. Discrètement, Riza écarte un billet de sa liasse, probablement pour l’essence, ou alors pense-t-il déjà au billet d’avion pour sa visite annuelle en Turquie. Tout en évoquant les partants du prochain Quinté, un verre à la main, Riza se laisse aller aux dernières confidences… « Je suis remarié, père de trois enfants, je trouve que la vie est de plus en plus dure en France. Si un jour je gagne le paquet, j’aimerais passer la moitié de l’année en Turquie, j’ai gardé beaucoup d’attaches là-bas. Je tente de suivre la politique, en France comme en Turquie, mais tout me parait si compliqué. Tous les extrémismes me font peur. Les jours sombres, je me dis que mon existence ne sert pas à grand-chose et puis il suffit d’une embellie aux courses pour me redonner un moral d’acier. Je sais que sans les courses, ma vie n’aurait plus du tout la même saveur. » Les yeux dans le vide, Riza termine son verre, convoque quelques supporters pour le match de Fenerbahce télévisé le lendemain puis, saluant la compagnie, il ne peut retenir ses mots : « Demain, Franck Nivard va gagner le Quinté. » Jusqu'à 600€ offerts pour parier sur les courses hippiques !