Plat Publié le mercredi 19 novembre 2008 à 12h06

Wertheimer: un parfum de bleu (2)


Suite des aventures de la famille Wertheimer. Après avoir donné naissance à son élevage, Pierre Wertheimer va posséder un champion hors norme: Epinard. Zone-Turf vous retrace l'histoire de ce phénomène.

« Parce qu’il existe de l’endurance sans classe et qu’il n’existe pas de classe sans vitesse, la vitesse est plus prônée que l’endurance. Voici donc un des plus grands noms de tous, le nom de la vitesse faite cheval, et ce n’est pas un joli nom, mais c’est un phénomène de la nature, le voici, l’unique, l’incomparable Epinard ». Ainsi s’exprimait Jean Trarieux dans Son Journal d’un homme de courses qui décrivait la période 1900 – 1945. A peine versé dans l’élevage, Pierre Wertheimer tient son premier champion. Heureux hasard d’une naissance, qui sera la seule à mettre au compte de la mère d’Epinard, sagacité du sportsman Wertheimer qui croyait en l’ascendance des deux géniteurs (Badajoz et Epure Blanche), détermination du chef d’entreprise qui ne lésine pas sur les moyens pour créer son élevage et son Ecurie ; autant de paramètres qui vérifient le vieil adage « Fortuna audaces juvat » (la fortune sourit aux audacieux). Solide alezan d’1 m 63, large de poitrail, plus puissant que fin, Epinard part en trombe et gagne ses courses dès le départ en asphyxiant ses adversaires sur quelques centaines de mètres. A 2 ans, il rafle tout en France -Prix Yacowlef, Prix de la Touques, Critérium de Maisons-Laffitte, Prix des Coteaux, Grand Critérium. L’échec du Prix Morny est à effacer car le poulain a été « oublié » au départ par le starter-. Cependant sa modeste naissance n’avait pas enclin son propriétaire à l’engager dans les épreuves classiques réservées aux 3 ans. Aussi Epinard va-t-il se faire une spécialité du mile et, de sa rentrée le 1er juin 1923 au jour du Cambridgeshire le 31 octobre, il s’adjuge les cinq courses auxquelles il prend part. Dans le Steward’s Cup de Goodwood la confiance est telle que le poulain, « écrasé d’argent », remporte une victoire qui oblige les bookmakers à s’associer pour payer les enjeux colossaux dont l’entourage a gratifié le cheval. Le Roi Georges V et la Reine Mary se font présenter l’audacieux Pierre Wertheimer qui, tout auréolé de son succès britannique, vient à Deauville éclabousser de sa notoriété la « Riviera normande ». En octobre, si grande est la réputation d’Epinard que le handicapeur anglais lui attribue, dans le Cambridgeshire de Newmarket, 58 kilos, poids sous lequel jamais aucun 3 ans n’a risqué l’aventure. Pharos, deuxième du Debry d’Epsom est crédité de 54 kilos et Zariba, la championne française de 4 ans, porte 53 k ½. C’est dire !

Une légende du Turf

A la veille du Grand Handicap, Epinard est, avec le boxeur George Carpentier, champion du monde des poids mi-lourds, la vedette française la plus populaire en Grande-Bretagne : un journal illustré publie la silhouette des deux champions, avec en légende, les conseils du boxeur au cheval : « laisse d’abord filer ton gauche et, après, pars du droit aussi fort que tu pourras ». 23 partants, 1800 m d’une ligne droite large de 60 m se terminant par une sévère montée,… et Epinard succombe d’une encolure contre la meilleure pouliche de l’année, Verdict qui recevait de lui 18 livres. Jamais Epinard ne parut plus grand qu’après son impérissable défaite. En 1924, Pierre Wertheimer beau joueur et grand joueur décide pour son poulain la poursuite d’une carrière basée sur le sensationnel -match particulier contre Sir Gallahad à Saint-Cloud- courses sur invitation aux Etats-Unis… A moins que la politique choisie n’ait été dictée par la soif de revanche de son entraîneur, Eugène Leigh, véritable sorcier venu d’Amérique, après avoir tout perdu là-bas. Le 4 juillet, embarqué sur un paquebot doté d’un box spécial et d’un paddock sablé, Epinard accompagné de son chien mascotte Peter, vogue vers les Etats-Unis où il débarque le 12 juillet. « Epinard arrives for races in US. French Colt, valued at 300 000 dollars by Wertheimer, goes to Belmont Park”. Pistes en sable, climat différent, spécialistes indigènes redoutables… et trois courses qui se soldent par trois deuxièmes places à Belmont Park, Aqueduct et Latonia devant des foules record de 60 000 personnes. Lors de cette dernière joute, le Kentucky Jockey Club souhaite la bienvenue à « Pierre Wertheimer of Paris, France, the proud owner of Epinard ». Ainsi, outre ses performances sportives, ce dernier a parfaitement rempli sa mission d’ambassadeur et il peut désormais, universellement connu, accueillir avec joie le silence et la paix du haras. Retiré en 1925, au Haras du Bessan, le « Cheval Volant » y effectuera deux saisons de monte mais, le Médoc étant éloigné des grands centres d’élevage, on décide pour lui un grand voyage vers les Etats-Unis où, près de Lexington, il fonctionne comme étalon en 1927 et 1928. Revenu en France et stationné en 1929 et 1930 à Saint-Léonard des Parcs dans l’Orne où Pierre Wertheimer vient d’établir son haras d’élevage, Epinard repart pour deux ans dans le Kentucky. Après quoi, il revient à Saint-Léonard où il assure ses fonctions jusqu’à sa mort survenue paisiblement en décembre 1942. Jusqu'à 600€ offerts pour parier sur les courses hippiques !