Trot Publié le jeudi 21 mai 2009 à 11h13

Jacky Auffray : L'histoire d'un éleveur sans terre (partie 2)


L'univers des courses est un milieu magique où le mendiant côtoie le prince. Jacky Auffray appartient au monde marginal et mystérieux des gens du voyage. Dans la première partie, nous vous avons présenté un funambule qui vit en équilibre improbable entre les lourdes traditions familiales et des rêves de liberté. Interview d'un homme à part, fermement attaché à des valeurs humaines en voie de disparition.

Questions/réponses

Pourquoi n’avez-vous pas souhaité devenir propriétaire ? Mon père faisait les balais de Bouleaux pour les Haras Nationaux, j’ai encore en tête des images fantastiques du Haras de Villepelé au temps de la grandeur de Monsieur Moreau. Moi, je suis la tradition familiale, je n’ai pas envie d’avoir ma casaque ou mes chevaux. Dans ce milieu, il y a une grande part de risque pour les propriétaires, ils ne sont jamais certains de retoucher leurs billes ! Je suis prudent, je fais mes affaires sans prendre trop de risques. Je connais le système et le milieu et puis, surtout, il faut bien des éleveurs pour faire rêver des propriétaires. A chacun son rôle ! Vos enfants s’intéressent-ils aux courses ? Mes enfants sont peu passionnés par l’univers hippique. La culture des chevaux se perd, les vrais hommes de chevaux disparaissent. Les jeunes connaissent bien les pedigrees, le jeu, les courses à travers les images de la télé et les journaux. Sur le terrain il n’y a plus grand-monde ! Quels sont les hommes qui ont compté pour vous dans ce milieu ? Ce milieu m’a fait connaître beaucoup de monde. En fait, il s’agit d’une grande famille, ce sont, eux aussi, un peu des voyageurs ! Comme ceux de ma communauté, ils voyagent beaucoup pour gagner leur vie sur les hippodromes, ils bougent beaucoup. J’ai vécu de grands moments avec Michel Lecacheux, Gilbert Cherbonnel, Marcel Chéradame mais aussi avec André Blandin (le père de Franc) à l’époque de Take Up et Anouchko. Je vis dans l’Orne et j’apprécie beaucoup des professionnels comme Sébastien Hardy, Jean-Yves Lhérété, Dominique Chéradame, Thierry Duvaldestin, Franck Blandin, Sylvain Roger, Sébastien Guarato, Jean-Philippe Borodajko et beaucoup d’autres encore… Vous êtes vraiment profondément ancré dans votre région ? Les affaires vont de plus en plus mal alors j’ai du temps pour les chevaux et les hommes. Monsieur Pichon, un petit éleveur comme moi, a eu la chance de tomber sur un crack avec Général du Pommeau mais il n’a pas changé. Il m’avait dit « aujourd’hui tout le monde me serre la main mais quand je n’aurai plus de champion on m’oubliera ». Il faut savoir rester humble dans ce milieu. Moi j’ai aimé sortir des chevaux chez Marcel Chéradame, Gilbert Charbonnel, Damien Houssin. J’aime quand on me demande un conseil sur les aplombs d’un cheval ou sur une origine. J’adore me promener sur mes hippodromes préférés : le Mont-Saint-Michel, Le Sap, le jour des feux de la Saint-Jean, Rânes, La-Ferté-Vidame, Argentan ou encore Laval. Quelles sont vos joies, vos désillusions et vos rêves ? Ma plus grande joie serait de faire naître un poulain qui permettrait à un entraîneur d’accéder au plus haut niveau et de se faire plaisir. J’aime le partage de ces moments et de ce bonheur. Mes plus mauvais moments sont toujours venus de la perte d’un poulain ou d’une jument. C’est une tristesse terrible de perdre un animal. Côté humain, côté famille, le mot « jaloux » ne porte pas chance ! Je sais que ma famille et ceux qui m’entourent sont fiers de moi et de ce que je fais. L’un de mes frères, Bruno Auffray a drivé en amateur. Lors de sa première course, avec Ibis Lui à Rambouillet, il a terminé sixième et est rentré aux balances. Ce fut une grande joie pour moi. Il a fait ce que je n’ai pas pu faire ; c’est ça aussi l’esprit de famille. Mes frères sont toujours là quand j’ai besoin d’eux… Qui sont vos professionnels et vos chevaux préférés ? Ce sont tous des grands pros, je ne veux pas les décevoir car je les respecte tous. Ils me respectent et je les admire. Les gens sont stressés. Aujourd’hui tout à changé, les heures ont rétréci, avant ils pouvaient avoir plusieurs ouvriers et vivre à un rythme plus humain. Ce sont des cadences infernales qui sont imposées mais après les courses, ils redeviennent tous des hommes comme les autres. Côté chevaux, je pense que Prince Gédé est un trotteur hors du commun. Ready Cash, m’a fait plaisir. Je suis fier de Philippe Allaire qui a connu des moments difficiles et méritait de retrouver un bon cheval. Quand un entraîneur touche un bon cheval, j’en suis heureux, vous ne pouvez pas imaginer comme ça change la vie de ces gens là ! La crise ? J’ai peur oui j’ai peur ! Si le travail ne reprend pas, on va fragiliser tout cet univers merveilleux. S’il n’y a plus de jeu, si l’argent ne revient pas à la filière, il n’y aura plus de propriétaires et donc plus d’éleveurs ni d’entraîneurs. Là, on touche à des équilibres vitaux pour les courses. J’espère que ceux qui nous gouvernent ont pensé à tout ça … Jusqu'à 600€ offerts pour parier sur les courses hippiques !